Récit de l’apparition de la Sainte Vierge à Bargemon en 1635
par le Père Raphaël
En voici le premier (miracle), mais signalé en toutes ses circonstance, et dans lequel la Vierge même a paru et parlé à une de ses servantes. Considérez-le comme celui qui, dans la naissance de cette dévotion, a le premier donné à connaître que cette divine Reine voulait être honorée en ce lieu et en présence de cette image.
Dame Elizabeth Amic, native de Brignoles, épouse de sieur Jean Caille, bourgeois et habitant de Bargemon, était atteinte depuis deux ans d’une fièvre étique[1], accompagnée d’une grande rétractation des nerfs et sujette à des accidents qui, plus fâcheux que le mal caduc[2], l’affligeaient, l’abattaient et la roulaient par terre cinq ou six fois par jour ; par la violence et la dureté de ces maux son corps était devenu sec, exténué, sans couleur, sans humeur et sans force, et comme le dépenses et les remèdes étaient également inutiles, elle n’attendait plus que du ciel ou du tombeau la fin de ses peines, qu’elle obtint comme il s’en suit.
En l’année mil six cent trente-cinq et le dix-sept du mois de mars, époque à laquelle cette dame ainsi que son mari n’avaient point encore entendu parler de cette image de Notre-Dame, qui n’était arrivée à Bargemon que le quatorze de Mars, et ne fut exposée au public que le vingt-quatre du même mois, la sainte Vierge lui apparut pendant la nuit et dans le temps de son sommeil, sous l’agréable figure d’une belle pélerine, revêtue d’un premier habillement pauvre et fort usé, au-dessous duquel était une robe de velours vert entourée d’une ceinture de soie de la même couleur. Elle lui montrait un visage riant et brillant, et des cheveux ondés et dorés flottant sur sa divine figure, dont la rare beauté remplissait son âme d’admiration et d étonnement. Ses yeux, resplendissaient d’une lumière vive et douce, qui conspirait avec les agréables traits de sa figure, pour composer un charme qui forçait toutes les puissances de son âme à l’aimer. Sur sa tête était un petit chapeau, et au-dessus une couronne d’or enrichie de diamants et de perles.
Elle heurta à la porte de la dame Caille qui, s’informant d’où elle venait, apprit que c’était de fort loin et d’un royaume étranger. La dame Caille, priant alors la pélerine de monter dans sa maison, elle lui dit : que d’abord elle voulait aller à l’église rendre l’hommage qu’elle devait à Dieu. Ce qu’elle fit accompagnée de la dame Caille, qui y récita avec elle sa prière, après laquelle elles revinrent toutes deux au logis. Alors la dame convia la pélerine à prendre quelque repos et quelque nourriture ; ce qu’elle refusa lui disant que la fin de sa visite n’était que pour la guérir de ses maux et lui demander une robe, vu que la première, dont elle était couverte, ne valait plus rien. Ayant obtenu promesse de cette robe, la pélerine disparut.
Comme la joie, et surtout la joie des femmes, ne saurait rester muette, le matin, sur les six heures, la dame Caille, dont le cœur était encore épanoui par le souvenir des merveilles qu’elle avait vues et du plaisir qu’elle avait éprouvé à la vue d’un si bel objet, entretint son mari, à son réveil, de tout ce qui s’était passé. Comme elle achevait son récit, six confrères de la chapelle des pénitents blancs frappèrent à sa porte, portant cette sainte image de Notre-Dame dans une boite couverte de taffetas vert, où elle avait été envoyée. Ils venaient la lui montrer et prier son mari, qui était allié au maître de la verrerie, qui est à deux lieues de Bargemon, de leur procurer une châsse de verre pour la loger, en attendant qu’elle se pourvût de quelque plus riche demeure. La dame Caille, qui était encore au lit, roulant dans son esprit les délices et les merveilles de sa vision, ayant entendu cela, s’écria de suite : que cette sainte Vierge était assurément cette belle pélerine, qui lui était apparue et lui avait parlé pendant la nuit, et dont elle venait d’entretenir son mari. Elle pria celui-ci de partir à l’instant et d’aller lui-même à la verrerie pour avoir cette châsse et, qui plus est, d’en faire une en argent pour l’y loger, ce à quoi elle offrait ses joyaux, ce qui fut fait.
Cette miraculeuse image est maintenant dans cette châsse d’argent avec les armes du sieur Jean Caille, vivant encore. Lui-même m’a raconté et attesté la vérité de cet événement confirmé et rendu public par la guérison de sa dame, qui depuis le susdit jour fut délivrée de tous ses maux, que les médecins m’ont déclaré ne pouvoir finir qu’avec sa vie. Elle reprit ses premières couleurs au grand étonnement de tout le monde, à qui elle le déclara franchement pour convier chacun à honorer sa bienfaitrice.
Ce miracle, le premier de tous ceux qui ont été faits depuis la possession de cette sainte image, montre évidemment que la mère de Dieu voulait être honorée et servie dans cette ville de Bargemon ; ce qu’elle a depuis encore confirmé par une infinité d’autres merveilles.
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[1] Aujourd’hui nommée fièvre hectique, fièvre lente, longue et habituelle, qui dessèche tout le corps.
[2] Epilepsie.

Reconnaissance ND de Bargemon
Attestation et permission de Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Evêque et Seigneur de Fréjus, pour la publication des miracles contenus en ce livre.
Nous Pierre DE CAMELIN, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège Apostolique, Evêque et Seigneur temporel de Fréjus,
Ayant vu et examiné plusieurs grands miracles que Dieu a opérés et opère tous les jours dans la chapelle de Notre-Dame de Bargemon, lieu de notre diocèse où repose une image miraculeuse de la très-sainte Vierge, désirant contribuer de tout notre pouvoir à la conservation et accroissement de cette dévotion, après avoir établi et député commissaires pour s’informer juridiquement de la vérité des susdits miracles ; Nous les ayant exhibés dûment et juridiquement attestés par témoins et personnes publiques, permettons par ces présentes qu’ils soient non seulement publiés et prêchés, mais encore imprimés au présent livre ; et en foi de ce, avons de notre main signé les présentes et fait mettre notre sceau par notre Secrétaire soussigné.
Donné à Fréjus, dans notre Evêché, le vingt-huitième d’Août mil six cent quarante-un.
Signé : Pierre, Ev. De Fréjus
Du mandement de mon dit Seigneur :
VAISCIERE.